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Vendredi 11 janvier à 20h

cinéma Le Fresnoy - studio national des arts contemporains

entrée gratuite

#53/ UN COEUR GROS COMME CA

Un film de François Reichenbach

Durée 90 min - 1961 - 35mm- France

Un jeune boxeur sénégalais, Abdoulaye Faye, vient tenter sa chance à Paris.

 

C’est comme une suite de petites rapines : quand la caméra est cachée, ou à l’épaule, quand elle surprend ou dérobe, quand elle guette et espionne - aussi avec l’étrange effet d’intimité distante, isolée, perdue que rend la longue focale sur un visage - alors quelque chose du réel est saisis au vol, à la dérobée, est « agrippé ». Dakar-Paris, Faye va disputer le match de boxe le plus important de sa vie.

 

Reichenbach s’agrippe, poursuit le visage de Faye ; il y a aussi des pigeons qu’il faut attraper, des chats de gouttière et des enfants sur le pas des portes. Ce serait Doisneau si ce n’étaient la sueur et les marques de petites taches de sang sur un short. Alors Doisneau + Stallone. Et Monet tant qu’on y est, l’impressionnisme des petites taches de soleil sur l’eau et sur la barque, et la saisie du temps qu’il fait : le flouté « sfumato » de l’humidité, les fumées, les vapeurs crasseuses de Paris, le bloc terne de l’air, le gris trouble (il a plu), le grain pellicule : la mélancolique grossièreté de la ville. « Ma chère maman, aujourd’hui je te parle de Paris mais pas beaucoup parce qu’on n’y voit rien. Il fait tellement de brouillard ; écoute donc le disque de Léo Ferré, il t’expliquera mieux que moi Paris au temps de brouillard. ». Mais le charme la naïveté et la chanson douce sont sans cesse enroués par un fond qui « remonte », tout gavé de racisme et de dénuement, de solitude. Dans sa chambre de bonne où il vit à Paris, Faye a accroché au mur une photo de Michelle Morgan. Histoire d’une désillusion. Ça pourrait s’alourdir mais tout ici sera jusqu’au bout totalement dépourvu d’aigreur. Le cinéma est direct mais aussi nonchalant et souple. Chantant. On se prépare à un match décisif qui ne sera jamais vécu que dans un final raté, un clip des jeux de jambes, un montage serré d’une suite de K.O. et c’est terminé, il a perdu. Tout est foutu, l’espoir, les voyages, Michelle Morgan. Faye s’abandonne au destin, et c’est comme s’il disait à l’existence : « sans rancœur ». Et même il finira par sourire à quelqu’un.

 

C’est un sémaphore à cause aussi de ce dernier sourire : il a perdu, il se rhabille avec dépit, il serre des mains, et puis il sourit à quelqu’un (qu’on ne voit pas dans le cadre : il sourit aux anges), une sorte de sourire consentant et « envers et contre », que Reichenbach agrippe, et quelque chose dans ce sourire, au fond de ce sourire résigné est quand même sourdement impertinent, et glorieux, proche de ce nous tenions je crois comme une image symbole : « un enfant fume au nez des agents de police »…

Marianne Pistone

 

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